14. 07. 2025
14. 07. 2025
De la Suisse à la mer du Nord : un voyage sous le signe du trafic de marchandises
Le plus important corridor de fret d’Europe s’étend du portail sud du tunnel de base du Saint-Gothard en Suisse au port de Rotterdam aux Pays-Bas. Le directeur de la LITRA, Michael Bützer, a pu visiter, dans le cadre d’un voyage d’étude, des centres d’exploitation, des terminaux, des gestionnaires d’infrastructure et des entreprises qui illustrent de manière exemplaire le fonctionnement du trafic ferroviaire international de marchandises. Il est apparu clairement qu’une coordination judicieuse de nombreux acteurs au niveau européen est indispensable pour transférer le trafic de marchandises de la route vers le rail.

Dans le cadre du voyage d’étude, la délégation s’est rendue du portail sud du tunnel de base du Saint-Gothard en Suisse au port de Rotterdam aux Pays-Bas. © LITRA
Par Michael Bützer, Directeur de la LITRA
La première étape du voyage était le centre d’exploitation sud de Pollegio dans le canton du Tessin, non loin du portail sud du tunnel de base du Saint-Gothard. Thomas Senekowitsch, responsable du centre d’exploitation sud des CFF, y a fait visiter le centre de commande du trafic ferroviaire. C’est dans ce centre de contrôle ultramoderne qu’est centralisée toute l’exploitation ferroviaire du sud de la Suisse.
Ce centre assure non seulement le contrôle des tronçons d’accès de la Suisse alémanique à la frontière italienne mais aussi la surveillance des deux tunnels de base du Gothard et du Ceneri. Ces deux tunnels constituent le cœur des transversales alpines suisses et permettent des liaisons plus performantes à travers les Alpes.
Le déroulement sûr et fluide assuré 24 heures sur 24 pour les trains de marchandises et de voyageurs au moyen de grands écrans, de systèmes de gestion numériques et de quelque 180 collaborateurs était impressionnant. Le message de Thomas Senekowitsch était sans ambiguïté : l’infrastructure et la gestion de l’exploitation de pointe en Suisse constituent la condition sine qua non pour qu’une grande partie du trafic de marchandises à travers les Alpes puisse être assurée par le rail.

Aperçu du quotidien dans le centre d’exploitation Sud de Pollegio dans le Tessin : les CFF y surveillent le trafic ferroviaire sur l’axe du Gothard. © LITRA
La plaque tournante du transport combiné : le terminal Hupac Busto Arsizio–Gallarate
Depuis la Suisse, le trajet s’est poursuivi en direction du nord de l’Italie. À Busto Arsizio, la visite du grand terminal combiné Busto Arsizio-Gallarate, exploité par l’entreprise suisse Hupac, était au programme. Michail Stahlhut, CEO de Hupac, a expliqué le fonctionnement de l’installation ainsi que son importance.
Sur d’immenses aires de transbordement, des conteneurs et des semi-remorques attendent d’être transférés à l’aide de grues entre camions et trains de marchandises. Chaque jour, des trains de marchandises relient Busto Arsizio à des destinations dans toute l’Europe, dont l’Allemagne, la Suisse, les pays du Benelux ou encore l’Espagne et la Pologne. Le terminal fait ainsi office de plaque tournante du transport combiné : les flux de marchandises en provenance du sud de l’Europe et d’outre-mer y rencontrent les trains en direction du nord de l’Europe.
Lors de la visite guidée, Michail Stahlhut a souligné que sans de tels terminaux, le report modal vers le rail serait impossible. Ceux-ci constituent des points de jonction efficaces entre camions et trains. Un détail impressionnant : le terminal de Busto Arsizio peut accueillir jusqu’à 33 paires de trains de marchandises par jour et est directement relié au réseau autoroutier.
Ce site a permis aux participants au voyage d’étude de saisir concrètement ce que signifie la logistique européenne : des transitions fluides entre les modes de transport et une interconnexion internationale étroite, afin que les marchandises parviennent à destination dans les délais.

Le terminal combiné Busto Arsizio-Gallarate est actuellement la plaque tournante la plus importante pour le transport combiné en Italie du Nord. Chaque jour, des trains de marchandises relient Busto Arsizio à des destinations dans toute l’Europe. © LITRA
Zoom sur l’infrastructure allemande : DB InfraGO à Francfort
Un tronçon central du corridor de fret traverse l’Allemagne. En conséquence, un échange avec Philipp Nagl, président de la direction de DB InfraGO, était au programme pour les participants au voyage d’étude à Francfort. DB InfraGO AG est la société d’infrastructure des chemins de fer allemands (Deutsche Bahn), dont le siège est à Francfort. Depuis 2024, l’entreprise regroupe la responsabilité du réseau ferroviaire et des gares en Allemagne afin de rendre l’aménagement et l’entretien plus efficaces.
Philipp Nagl a accueilli la délégation au siège de DB InfraGO et décrit les défis à relever sur l’axe nord-sud du point de vue allemand. Le trafic ferroviaire de marchandises allemand a récemment dû faire face à des goulets d’étranglement et à de nombreux chantiers. Mots-clés : grands chantiers et assainissements dans le corridor.
Le président de la direction DB InfraGO a expliqué les mesures à prendre en vue d’améliorer la qualité et la capacité de l’infrastructure : dans les années à venir, les chemins de fer allemands investiront des dizaines de milliards d’euros dans la rénovation de tronçons et de nœuds importants, car la qualité de l’infrastructure ne correspond plus aux exigences actuelles.
En outre, les grands projets doivent être coordonnés et regroupés dans le temps afin d’atténuer le ralentissement du réseau. L’Allemagne est le pays de transit numéro un pour le trafic international de marchandises. Il est donc d’autant plus important d’améliorer la fiabilité sur la ligne de la vallée du Rhin et les lignes d’accès aux Alpes.

Immersion dans le centre de gestion du réseau de la Deutsche Bahn à Francfort. Le trafic ferroviaire de marchandises allemand a récemment dû faire face à des goulets d’étranglement et à de nombreux chantiers. © LITRA
La situation en matière de personnel au sein de DB InfraGO reste très tendue, notamment en ce qui concerne les répartiteurs de trains. La pénurie de personnel qualifié, les départs à la retraite et l’exploitation continue en horaires décalés créent des lacunes en matière de personnel et rendent difficile le recrutement de nouveaux collaborateurs, ce qui finit par entraîner la suppression de trains. DB InfraGO réagit en lançant une offensive de formation, des programmes de reconversion ainsi qu’une décentralisation et une numérisation accrues afin de simplifier les processus et de réduire la charge de travail du personnel.
En outre, la marque employeur a été développée en vue d’attirer de jeunes talents et de renforcer l’attractivité de l’entreprise. « Le recrutement relève du tour de force. Nous devons jouer tous nos atouts pour trouver suffisamment de répartiteurs de trains et assurer l’exploitation », a souligné Philipp Nagl.
La délégation a constaté, lors de sa visite, que la coopération technique entre la Suisse et l’Allemagne pouvait encore être améliorée. En même temps, il est clairement apparu que de nombreuses autres mesures ambitieuses seront nécessaires pour faire face à la croissance future du transport de voyageurs et de marchandises : planification prévoyante du personnel, innovations numériques supplémentaires, mise à disposition de tronçons supplémentaires pour les trains de marchandises.
Logistique transfrontalière à Duisbourg : SBB Cargo International
Une autre étape du voyage d’étude a été Duisbourg en Rhénanie du Nord-Westphalie, l’un des plus grands ports intérieurs et nœuds de transport de marchandises d’Europe. Le groupe y a rencontré des représentants de SBB Cargo International, à commencer par son CEO, Sven Flore, ainsi que son COO, Marcel Theis. SBB Cargo International exploite des trains de marchandises sur l’ensemble du corridor reliant les Pays-Bas et l’Allemagne à l’Italie.
Duisbourg abrite d’importants terminaux de transbordement et des voies de raccordement vers les ports fluviaux. Des exemples pratiques sur place ont ainsi permis d’expliquer le fonctionnement actuel de l’exploitation ferroviaire transfrontalière. Marcel Theis a expliqué que SBB Cargo International utilise ses propres locomotives et son propre personnel dans plusieurs pays afin de garantir des normes de qualité uniformes.
Ainsi, outre la filiale allemande, il existe également une filiale néerlandaise, dirigée par Freek Hilkemeijer (SBB Cargo Nederland BV), afin de pouvoir opérer directement dans le port de Rotterdam. Cette présence dans les pays de transit permet de surmonter efficacement les barrières linguistiques, les différents systèmes techniques et les homologations : le train passe en quelque sorte sous un même toit, même si des frontières nationales sont franchies.
Duisburg a également mis en évidence l’importance des nœuds logistiques en dehors des Alpes : par exemple, une correspondance réussie avec un transport fluvial à Duisbourg vers la Ruhr ou les ports de la mer du Nord désengorgerait les routes bien au-delà de la Suisse.

L’immense zone portuaire de Rotterdam s’étend sur plus de 40 kilomètres : une vue impressionnante sur le gigantesque terminal de transbordement ferroviaire de CLdN. © LITRA
Terminus Rotterdam : logistique portuaire et entretien à l’extrémité du corridor
Le point d’orgue du voyage, et sa conclusion, fut la visite du port de Rotterdam, le plus grand port maritime d’Europe C’est à cet endroit que le corridor de fret ferroviaire visité débouche sur la logistique mondiale. Le groupe d’étude a d’abord visité le terminal de l’entreprise de logistique CLdN dans le port de Rotterdam. CLdN exploite des terminaux RoRo (Roll-On/Roll-Off), par lesquels des semi-remorques sont expédiées par bateau, par exemple vers l’Angleterre ou la Scandinavie.
Dans le terminal du bassin portuaire, des collaborateurs de CLdN ont démontré la fluidité des connexions entre rail, route et transport maritime : les marchandises en provenance de l’intérieur des terres par le train sont chargées sur des bateaux. Au même moment, des navires en provenance de Grande-Bretagne arrivent au port et les semi-remorques roulent pour être acheminées par trains de marchandises ou camions.
L’étendue de Rotterdam, où plus de 470 millions de tonnes de marchandises sont transbordées chaque année, a une nouvelle fois rappelé au groupe l’importance capitale de liaisons efficaces avec l’intérieur des terres. Sans capacités ferroviaires suffisantes, les ports de cette taille ne seraient plus en mesure de gérer les flux de marchandises.

De nombreux trains de marchandises relient chaque semaine le port de Rotterdam à l’intérieur de l’Europe, rendant nécessaire un entretien rapide des locomotives. Vue de l’atelier de locomotives de LWR. © LITRA
Une autre étape passionnante de la visite fut le Locomotive Workshop Rotterdam (LWR) sur la Maasvlakte, une zone portuaire récemment aménagée. Cet atelier ultramoderne, inauguré en 2019, est dédié à l’entretien des locomotives électriques. Lors de la visite, Olaf Kuijper, CEO de LWR, a souligné l’importance de telles installations à la fin du corridor. Étant donné que de nombreux trains de marchandises relient chaque semaine le port de Rotterdam à l’intérieur de l’Europe, les locomotives doivent pouvoir être entretenues ou réparées rapidement.
LWR dispose de six voies et d’installations d’essai uniques pour tester sur place les locomotives de tous les systèmes électriques courants en Europe. Cela permet de réduire les temps d’immobilisation, d’économiser des coûts et d’envoyer un signal aux entreprises ferroviaires sur l’attractivité de Rotterdam en tant que point de départ et d’arrivée des trains de marchandises.
C’est là que le voyage s’est achevé : du massif alpin du Gothard jusqu’à la côte néerlandaise, le trafic ferroviaire de marchandises fonctionne à la manière d’un puzzle dont les pièces doivent être parfaitement compatibles.
Premiers revers dans le transfert modal et comment y remédier
Les participants au voyage d’étude ont été clairement sensibilisés aux défis du transfert modal. Depuis les années 1990, la Suisse poursuit l’objectif de transférer le trafic lourd transalpin de la route vers le rail. Les débuts ont été couronnés de succès, comme en témoigne la part du rail d’environ 72,9 % en 2022,
mais les chiffres les plus récents indiquent une tendance inverse : pour la première fois depuis des décennies, le trafic ferroviaire de marchandises transalpin enregistre une légère baisse. C’est pourquoi la part du rail diminuera pour la première fois dans le prochain rapport sur le transfert de la Confédération.
Les raisons invoquées sont les conséquences de l’accident du tunnel de base du Gothard en août 2023. La fermeture partielle de cet itinéraire stratégique pendant plusieurs mois a entraîné un report d’une partie du trafic de marchandises vers la route ou des itinéraires de contournement. La faiblesse de la conjoncture en Europe a également ralenti le volume de fret sur le rail. En bref : la politique de transfert traverse une phase critique. En effet, le seuil légal de 650 000 trajets de camions à travers les Alpes par an est nettement dépassé.
Quelles mesures pourraient favoriser une relance du transfert modal ? Certains jalons ont déjà été posés au niveau politique. Le Conseil fédéral, par exemple, a décidé d’adapter la redevance sur le trafic des poids lourds (RPLP) au renchérissement au 1er janvier 2025, ce qui renchérit légèrement le transport de marchandises par la route. Parallèlement, les transports ferroviaires sur de courtes distances, inférieures à 600 kilomètres, doivent être soutenus financièrement afin d’offrir au rail des avantages concurrentiels également sur les moyennes distances (Loi sur le transport de marchandises : transport de marchandises par des entreprises de chemin de fer ou de navigation. Révision totale).
Outre de telles incitations en Suisse, il est néanmoins apparu clairement que la coordination internationale constitue la clé de voûte : les exemples visités le long du corridor ont montré l’importance d’une disposition coordonnée ou d’une planification des capacités sur les chantiers. Des capacités supplémentaires, via la France par exemple, ainsi qu’une coordination des travaux, permettraient de compenser un accident tel que celui survenu dans le tunnel du Gothard.
Par ailleurs, les investissements dans l’infrastructure des terminaux et dans la technique numérique restent d’une grande importance. Une approche consiste à aménager des installations de transbordement, comme le futur terminal de Bâle Nord, qui créera à l’avenir des capacités supplémentaires en tant que plaque tournante trimodale (train, camion, bateau). Des innovations techniques telles que des trains de marchandises plus longs, des attelages automatiques ou une coordination numérique des horaires pourraient également améliorer la productivité des chemins de fer sans pour autant avoir à construire de nouveaux tronçons.
Enfin, la coopération entre les gestionnaires d’infrastructure et les exploitants ferroviaires le long du corridor joue un rôle déterminant. L’efficacité du transport ferroviaire transfrontalier passe par des alliances renforcées et une coopération plus étroite en matière d’échange d’informations et de données.

Le voyage d’étude du portail sud du tunnel de base du Gothard en Suisse jusqu’au port de Rotterdam aux Pays-Bas a montré de manière impressionnante à quel point le transport de marchandises européen est imbriqué. © LITRA
La coopération européenne : la clé du succès
Pour la délégation, une chose est désormais évidente : l’avenir du trafic ferroviaire de marchandises, et ainsi d’une mobilité des marchandises respectueuse de l’environnement, ne se joue pas aux frontières nationales, mais le long des corridors européens.
Même si, avec sa politique de transfert modal et ses investissements de plusieurs milliards dans les infrastructures de transit alpin (tunnels de Lötschberg, du Gothard et du Ceneri), la Suisse a joué un rôle de pionnière, ces efforts ne pourront porter leurs fruits qu’avec la collaboration de chacun des participants tout au long du corridor.
Le voyage d’étude de Pollegio à Rotterdam a donc montré de manière impressionnante à quel point les rouages de l’engrenage du transport de marchandises sont imbriqués : du centre d’exploitation, qui donne le feu vert aux trains, au port, qui gère le commerce international, en passant par les terminaux de transbordement, qui chargent les conteneurs sur les trains.
Chacun de ces sites représente une facette de la politique de transfert modal, qu’il s’agisse d’infrastructures performantes, de logistique innovante ou de coopération internationale. Les défis, de la gestion des chantiers aux problèmes de capacité, sont considérables, mais l’engagement des professionnels sur le terrain pour trouver les solutions appropriées est tout aussi important.
Pour le grand public, le trafic ferroviaire de marchandises peut souvent sembler plutôt abstrait. Mais ce voyage d’étude a permis aux responsables de se rendre compte que nos marchandises quotidiennes, des voitures aux produits chimiques, en passant par les appareils électroniques et les denrées alimentaires, traversent l’Europe par ces itinéraires. Un transfert plus important du transport de marchandises vers le rail peut désengorger le réseau routier et réduire durablement les émissions, tout en améliorant l’approvisionnement.
La dimension européenne de cette tâche est apparue clairement au cours des trois jours passés sur les routes, dans les airs et sur les rails : aucun pays ne peut faire face au transfert modal à lui seul, mais des améliorations significatives sont réalisables ensemble.
Le voyage d’étude a fourni aux participants des informations précieuses et a contribué à enrichir objectivement le dialogue entre la politique, le secteur ferroviaire et le public afin que le corridor de fret de la Méditerranée à la mer du Nord reste l’épine dorsale d’une logistique durable en Europe.